28 avr. 2007

Mieux vaut prévenir que guérir comme disait ma grand-mère

Avec un peu de retard, revenons sur l’expulsion (deux ans avec sursis) de la fac de Montpellier de Yacine, étudiant trop volubile, qui a eu le tort de croire que l’université était encore un lieu de libre parole, de débats et d’échanges, de vie quoi, et non une fabrique aveugle de futurs chômeurs et petits cadres du système Sarkozy. Bien entendu, les témoignages sont contradictoires, mais à ce point c’en serait presque comique, n’était la gravité de la chose :

« Le 22 novembre, un autre incident met la fac en émoi. Pendant la pause précédant le cours de biologie, Yacine veut prendre la parole pour avertir d'une AG sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance. Le professeur de bio écrit : «J'ai refusé de lui donner le micro et lui ai dit de sortir. Il n'est pas sorti et a pris la parole pour développer des arguments politiques sous les huées des étudiants exaspérés. L'appel aux forces de l'ordre a été indispensable pour maîtriser et expulser l'intrus.»

Une dizaine d'étudiants ont témoigné : «Dans une extrême violence, le professeur a sauté sur Yacine, l'agrippant au cou», écrit Elsa. «Le prof a fait appel aux vigiles qui avec force soulevaient, traînaient l'étudiant qui tentait de se raccrocher aux tables», dit Andrée. «Les vigiles le tenaient par terre quand la police est arrivée», a vu Judith. »

Les luttes anti-CPE ont donc fait bien peur au pouvoir pour qu’il tente désormais de tuer de la sorte tout embryon de contestation dans l’œuf. Oui, bon, c'est vieux comme le monde en fait. Mieux vaut prévenir (intimider, exclure) que guérir (faire charger la police), pas vrai ?

voir:

"A la fac de Montpellier, un bon étudiant est un étudiant muselé"

et un entretien avec un prof de l’université Montpellier-III

photo: boulevard St-Michel, mars 2006.

26 avr. 2007

Pensées, fantaisies et impressions psychiques

« Quelque Français, peut-être Montaigne, a dit : "Les gens parlent de penser ; mais quant à moi, je ne pense jamais, sinon lorsque je m’assieds pour écrire." C’est cette absence de pensée, à moins qu’on ne se soit installé pour écrire, qui est la cause de tant d’ouvrage indifférents. Cependant, l’observation du français a peut-être plus de sens qu’il ne nous semble à première vue. Il est certain que le seul acte de rédiger participe hautement à rendre la pensée plus logique. Chaque fois qu’en raison de son vague, je ne suis pas pleinement satisfait d’une conception de mon esprit, je recours à la plume afin d’obtenir grâce à elle toute la forme, l’enchaînement et la précision nécessaires.


Quoi de plus fréquent que d’entendre dire, de telle ou telle pensée, qu’elle dépasse la sphère des mots ! Je ne crois pas qu’aucune pensée – aucune pensée vraiment digne de ce nom – puisse être hors de la portée du langage. J’estime plutôt que là où l’on rencontre une difficulté pour s’exprimer, il y a un défaut de réflexion ou de méthode de l’intellect qui la ressent. Pour ma part, je n’ai jamais eu la moindre pensée qu’il ne m’ait été possible de mettre en mots sans lui imprimer plus de netteté. Comme je l’ai déjà fait remarquer, la pensée devient plus logique à travers l’effort de son expression par écrit.


Il y a toutefois une classe de fantaisies d’une extrême délicatesse, qui ne sont point des pensées et pour lesquelles, jusqu’à présent, j’ai trouvé absolument impossible d’adapter le langage. J’emploie le mot fantaisies au hasard, et simplement parce qu’il faut employer quelque vocable ; mais l’idée couramment associée à ce terme n’est pas, même grossièrement, applicable aux ombres d’ombres dont il est ici question. Elle me paraissent plutôt psychiques qu’intellectuelles. Elles ne se produisent dans notre âme (hélas combien rarement !) qu’aux périodes de la plus profonde tranquillité ; quand nous sommes en parfaite condition physique et mentale ; et seulement à ces points de la durée où les confins du monde onirique se mélangent avec ceux du monde de la veille. Je n’ai la notion de ces rêveries que lorsque je me trouve à la lisière du sommeil, tout en ayant conscience de mon état. J’ai pu vérifier que cette condition ne se produit qu’au cours d’une imperceptible fraction de temps, alors que pour avoir véritablement une pensée, un certain prolongement dans la durée demeure nécessaire ; mais cela n’empêche pas que ces "ombres d’ombres" y foisonnent.


Ces "fantaisies" s’accompagnent d’une extase délicieuse, aussi éloignée des plus grandes jouissances du monde de la veille ou des songes que le Ciel de la théologie nordique est éloigné de son Enfer. Je considère ces visions, alors même qu’elles se produisent, avec une sorte d’appréhension qui parvient, dans une certaine mesure, à modérer ou à calmer mon extase. Je les considère ainsi par la conviction (qui fait elle-même partie de mon extase) que cette jouissance est en soi d’un caractère supérieur à la nature humaine, qu’elle est comme un coup d’œil jeté sur le monde des esprits. Et j’arrive à cette conclusion – si toutefois ce terme est applicable à une intuition spontanée – parce que j’ai la perception, en éprouvant pareilles délices, d’un élément d’une absolue nouveauté. Je dis absolue car dans ces fantaisies – permettez-moi de les appeler maintenant impressions psychiques – on ne trouve vraiment rien qui ait, même approximativement, le caractère des impressions ordinaires. Tout se passe, en fait, comme si les cinq sens étaient supplantés par cinq myriades d’autres sens, étrangers à la condition mortelle.


Cependant ma foi dans la puissance de la parole est si entière que j’ai cru, par moments, possible de fixer jusqu’à l’évanescence des fantaisies que je viens d’évoquer. Dans les expériences que j’ai faites en ce sens, je suis allé suffisamment loin, pourvu que ma santé physique et mentale fût satisfaisante, pour contrôler leur apparition ; c’est-à-dire que je puis désormais m’assurer, à moins d’être malade, que cette condition se produira si je le souhaite, au moment déjà décrit, tandis que naguère encore je ne pouvais jamais en être certain. J’entends par là que je puis être sûr, quand toutes les circonstances sont favorables, de la venue de cet état ; et que je me sens capable de la provoquer ou de la contraindre à se produire. Mais les circonstances favorables n’en sont pas moins rares, autrement j’aurais déjà contraint les cieux à descendre sur terre. Je me suis appliqué ensuite à empêcher le glissement du point dont j’ai parlé – le point de fusion entre le rêve et la veille – à empêcher, dis-je, selon mon gré, le glissement depuis cette zone frontière jusqu’à l’empire du sommeil. Non pas que je puisse prolonger cet état, ni faire de ce point quelque chose de plus qu’un point ; mais je puis à volonté rebondir de ce point à la veille ; et ainsi transporter ce point lui-même dans le royaume de la mémoire ; en recueillir les impressions – ou plus exactement, le souvenir de ces impressions – de manière à les examiner, quoique pendant un temps infime, avec l’œil de l’analyste.


C’est pourquoi, ayant accompli de tels progrès, je ne désespère pas de mettre en mots une part suffisante de ces fantaisies, afin de donner à certaines catégories d’intellects une vague idée de leur nature. De ce que j’avance, on ne doit pas conclure que les fantaisies ou les impressions psychiques auxquelles je me réfère n’appartiennent qu’à moi seul – bref, qu’elles ne sont pas communes à tous les mortels ; car sur ce point, il m’est absolument impossible de former une opinion. Mais on peut tenir pour certain qu’une notation, même partielle, de ces impressions bouleverserait l’intelligence universelle de l’humanité, par la suprême nouveauté de leur contenu et des suggestions qui en découleraient. En un mot, si je devais jamais écrire un article à ce sujet, le monde serait obligé de reconnaître qu’enfin j’ai fait une œuvre originale. »

Edgar Allan Poe
Extrait de Marginalia, recueil de textes publiés dans plusieurs revues nord-américaines de 1844 à 1849, soit pendant les dernières années de la vie de Poe. (un choix - d'où sont tirées ces quelques lignes - vient d'être réédité chez Allia, trad. L. Menasché)

Photos: Afrique équatoriale entre 1875 et 1890, BNF

22 avr. 2007

Je sais pas pourquoi aujourd'hui justement je repensais au film de Fellini...



Fellini rêve de son enfance, du cirque installé sur la place du village, celui qu'il voyait de la fenêtre de sa chambre. Puis il décide de parcourir la France et l'Italie afin d'aller à la rencontre des clowns de son temps et de quelques figures historiques.

L'équipe de tournage prend peu à peu part aux sketches, les entretiens sont de plus en plus délirants. Outre Fellini lui-même, le cadreur, le preneur de son, la script s'impliquent sans compter... avec Annie Fratellini et bien d'autres.

visionner des extraits ici

ah, et la musique de Nino Rota est bien sûr superbe.

19 avr. 2007

dans les tiroirs 1

une bibliothèque qui résiste
le tazer X 26un classique...

foto-novela 2






18 avr. 2007


Ce n'est ni l'anniversaire de sa naissance (Paris, le 22 mai 1808), ni celui de sa mort (Paris, le 26 janvier 1855), ni pour faire bien, c'est juste un grand salut à Gérard de Nerval. Oui, rassembler ces textes et publier quelque chose autour de Nerval, mais pour l'instant...




« Le rêve est une seconde vie. Je n’ai pu percer sans frémir ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l’image de la mort ; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l’instant précis où le moi, sous une autre forme, continue l’oeuvre de l’existence. C’est un souterrain vague qui s’éclaire peu à peu, et où se dégagent de l’ombre et de la nuit les pâles figures gravement immobiles qui habitent le séjour des limbes. Puis le tableau se forme, une clarté nouvelle illumine et fait jouer ces apparitions bizarres : – le monde des Esprits s’ouvre pour nous.

Swedenborg appelait ces visions Memorabilia ; il les devait à la rêverie plus souvent qu’au sommeil ; l’Ane d’or d’Apulée, la Divine Comédie du Dante, sont les modèles poétiques de ces études de l’âme humaine. Je vais essayer, à leur exemple, de transcrire les impressions d’une longue maladie qui s’est passée tout entière dans mon esprit ; – et je ne sais pourquoi je me sers de ce terme maladie, car jamais, quant à ce qui est de moi-même, je ne me suis senti mieux portant. Parfois, je croyais ma force et mon activité doublées ; il me semblait tout savoir, tout comprendre ; l’imagination m’apportait des délices infinies. En recouvrant ce que les hommes appellent la raison, faudra-t-il regretter de les avoir perdues... ? »

Aurélia, début de la première partie.



girafe figurant sur le Paradis de Jérôme Bosch (c.1500)

m [06]



La buse arc-boutée se morfond dans sa roulotte sans y croire
tandis que la lurette a définitivement décidé
de se livrer à l’ornithomancie.


* * *


L’amuse-gueule se dit que la caille est bien désirable
lorsqu’elle s’emballe l’air de rien. L’air de tout
elle est périlleuse.


* * *


Aimer c’est pressentir, aimer c’est être en retard.


* * *


Il s’agit, plus que jamais, de refuser les tropiques en stuc.


* * *

foto-novela 1





la girafe

"Peigner la girafe."

version courte

Peigner la girafe : ne rien faire ou perdre son temps.

Cette expression daterait de 1827. Le 30 juin, les parisiens purent voir une girafe pour la première fois. L'animal, nommé Zarafa, était un cadeau du pacha d'Egypte au roi Charles X. La foule l'accueillit avec enthousiasme et on l'installa au Jardin des Plantes avec un gardien personnel. Ses supérieurs reprochant à ce dernier de ne rien faire, il aurait répondu pour se justifier qu'il était fort occupé à "peigner la girafe".

version longue

Faire un travail inutile ou fastidieux; trouver le temps long à ne rien faire.

Il releva d'un coup d'épaule crâneur le sac à outils qui bringuebalait sur ses reins, et gagna la porte en ricanant : « D'ailleurs, je m'en fous... On verra bien... Faire ça, ou peigner la girafe!... » (MARTIN DU G., Les Thibeau., Été 14, 1936, p. 508).

Mais d'où vient cette expression?

En 1826, le pacha d'Egypte offrit simultanément au roi de France et au roi d'Angleterre deux jeunes girafes capturées en Abyssinie. Les consuls des deux pays les tirèrent au sort et la France eut la plus belle.

On embarqua la girafe sur un bateau appelé « Les deux frères ». Elle portait autour du cou un parchemin sur lequel étaient écrits des passages du Coran. Des gardiens égyptiens embarquèrent avec la girafe, ainsi que trois vaches qui fournissaient les 20 litres de lait nécessaires pour nourrir la girafe.

La traversée entre Alexandrie et Marseille se passa bien (sauf pour une des vaches qui eut le mal de mer). La girafe était installée dans la cale du navire et son cou sortait par une trappe.

A Marseille, la girafe fut mise en quarantaine (pour éviter la propagation des maladies contagieuses). Puis, on la fit sortir de nuit pour la conduire jusqu'à la Préfecture. Elle était logée dans une baraque en bois et resta la jusqu'en mai 1827. C'était une véritable attraction et la femme du Préfet organisa de nombreuses réceptions.

Au printemps, on fit sortir la girafe pour lui donner de l'exercice et la préparer au long voyage jusqu'à Paris. C'était la première girafe sur le sol français et chaque sortie était un évènement. En tête du cortège, un peloton de gendarmes à cheval, sabre au clair, dégageait le passage et faisait ranger les véhicules. Venaient ensuite les deux vaches. Derrière, la girafe avait un collier de cuir avec six longes que tenaient les gardiens et des employés de la Préfecture. Enfin, des gendarmes à pied contenaient la foule des curieux.

En avril 1826, Etienne Geoffrois-Saint Hilaire, du Muséum (le Jardin du Roi, aujourd'hui Jardin des Plantes à Paris), était arrivé à Marseille pour prendre livraison de l'animal. Il avait fallu organiser le voyage vers Paris et prévenir toutes les préfectures.

Un tailleur fit à la girafe un vêtement imperméable en toile gommée, boutonné sur le devant. Elle avait aussi un capuchon et un col descendant sur le poitrail.

Le voyage vers Paris commença le 20 mai 1827, à l'aube, sous une pluie battante. Il y avait 880 kilomètres à parcourir, par étapes de 20 kilomètres environ.

Un peloton de gendarmerie escortait la girafe et changeait à chaque canton. Une foule nombreuse venait voir cet étrange animal.

A Lyon, ont fit à la girafe un accueil triomphal. Elle fut exposée cinq jours sur la Place Bellecour.

Le 30 juin 1827, la girafe arriva à Villeneuve Saint-Georges. On lui retira son habit de voyage. 25 gendarmes l'escortèrent jusqu'à Paris. A Paris, plusieurs milliers de personnes vinrent l'admirer.

En tout, le voyage dura plus de trois ans. Le 9 juillet 1827, elle fut conduite au château de Saint-Cloud pour être présentée au roi Charles X. Elle portait une couronne de fleur et un manteau de cérémonie. Le roi lui fit manger des pétales de rose dans sa main.

La girafe devint très à la mode. On la voyait sur le fond des assiettes, on fit des bronzes, des carreaux de faïence, des étoffes, des ombrelles...

La girafe vécut au Jardin des Plantes entre 1827 et 1845.

A sa mort, la girafe fut empaillée et elle se trouve aujourd'hui au musée d'histoire naturelle de la Rochelle.

rédigé par une correspondante

16 avr. 2007

raging bull



15 avr. 2007

m [05]



Empêtré dans ses langes, l’apanage en gibelotte
ne pare pas les coups, voilà tout.


* * *


Une forte exhalaison de tentations de toutes sortes
enveloppe l’ex-indécis qui ne se fait pas prier.


* * *


Tant va le Jean-foutre au purin qu’à la fin il nous les brise


* * *

14 avr. 2007

m [04]



Les délivrances (au sens de turbulences)
supportent l’ablation.


* * *


Alibi, tu as brouillé les cartes


* * *


Le sacre se doit d’être dégonflé


* * *





m [03]


La salade doit tenir dans la main.


* * *


Les animaux seuls sont libres et changent
à travers les cases qui manquent.


* * *


Les sirènes tueuses nous défont journellement
de l’esprit en marche.


* * *


Les fuseaux escarpés se sont épris de la lenteur sauvage


* * *

12 avr. 2007

m [02]


Le bouquet s'est éteint pour de bon
mais souffre le reste du jour.


* * *


La femme-bise se reboutonne tranquillement


* * *


Une bonne suée de poisson, voilà ce qu’il lui fallait.


* * *


La rue est souvent une tumeur au soleil


* * *

11 avr. 2007

m [01]


La nuit est le pivot


* * *


J’étais peut-être l’homme du couloir,
en tous cas je n’ai pas fait signe.


* * *


Les cristaux incantatoires ne sont plus.


* * *


9 avr. 2007


Abassi Hi Power

7 avr. 2007


Franziska Furter:‘black hole’, 2007, galerie

Saute-mouton


Night-skyline - Alex Z.-K. Bs As 2005

[...]

On préfèrera l’errance
ou même l’Ennui
le désœuvrement juste
qui est le moteur de la poésie


[1999]

6 avr. 2007

5 avr. 2007


Solar Eclipse from the Moon, source

4 avr. 2007

Depuis des années...

« Depuis des années, une idéologie postsoixante-huitarde a conduit à tolérer l'intolérable » a déclaré l’ex-ministre de l’Intérieur et candidat de choc de l’UMP pour les prochaines présidentielles au lendemain des affrontements police/usagers à la gare du nord de mardi dernier.

Ce n’est pas la première fois que N. Sarkozy vilipende Mai 68 et ses « enfants gâtés », cette « idéologie » qui « installa partout, dans la politique, dans l'éducation, dans la société, une inversion des valeurs et une pensée unique dont les jeunes sont aujourd'hui les principales victimes.» (Marseille, université d’été UMP, 4/09/2006). A cette occasion, il avait également déclaré aimer les enfants qui « se lèvent tôt le matin » et affirmé que le pape Jean Paul II « était et restera une référence pour la jeunesse du monde.» Dans la foulée, il avait alors reparlé de ses rêves d’une jeunesse respectueuse du drapeau français et de la Marseillaise (un an et demi, donc, avant sa concurrente du PS, mais là n’est pas la question). Et puis : « Aimez la France. Battez-vous pour construire, non pour détruire.» « Haïr la France, c'est se haïr soi-même.» etc., etc.

Or qu’en est-il exactement de cette pensée de Mai, au-delà des clichés ? Nous ne résistons pas à la tentation de citer quelque peu le texte qui, publié un an et demi avant les "évènements" (grève générale, avec nombre d'occupations sauvages, tout de même, de celles qui font très peur aux syndicats) avait largement contribué à la diffusion d’idées qui dérangèrent les milieux politiques, académiques, étudiants et autres. Il s’agit de De la misère en milieu étudiant - considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier. C'est on le sait l'un des textes-clés de l'époque, et en le parcourant n'importe qui peut très vite saisir qu’au fond TOUS les candidats à ces élections ne peuvent qu’être opposés à cette "idéologie", et en bloc. Si seulement ils le (re?)lisaient, le prétendant Sarkozy se sentirait moins seul…

Rappelez-vous, cela commençait par: « Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement méprisé.»

Extrait de la deuxième partie :

« Après une longue période de sommeil léthargique et de contre-révolution permanente, s’esquisse, depuis quelques années, une nouvelle période de contestation dont la jeunesse semble être la porteuse. Mais la société du spectacle, dans la représentation qu’elle se fait d’elle-même et de ses ennemis, impose ses catégories idéologiques pour la compréhension du monde et de l’histoire. Elle ramène tout ce qui s’y passe à l’ordre naturel des choses, et enferme les véritables nouveautés qui annoncent son dépassement dans le cadre restreint de son illusoire nouveauté. La révolte de la jeunesse contre le mode de vie qu’on lui impose n’est, en réalité, que le signe avant-coureur d’une subversion plus vaste qui englobera l’ensemble de ceux qui éprouvent de plus en plus l’impossibilité de vivre, le prélude à la prochaine époque révolutionnaire. Seulement l’idéologie dominante et ses organes quotidiens, selon des mécanismes éprouvés d’inversion de la réalité, ne peuvent que réduire ce mouvement historique réel à une pseudo-catégorie socio-naturelle : l’Idée de la Jeunesse (dont il serait dans l’essence d’être révoltée). Ainsi ramène-t-on une nouvelle jeunesse de la révolte à l’éternelle révolte de la jeunesse, renaissant à chaque génération pour s’estomper quand le “le jeune homme est pris par le sérieux de la production et par l’activité en vue des fins concrètes et véritables”. La “révolte des jeunes “a été et est encore l’objet d’une véritable inflation journalistique qui en fait le spectacle d’une “révolte” possible donnée à contempler pour empêcher qu’on la vive, la sphère aberrante - déjà intégrée - nécessaire au fonctionnement du système social ; cette révolte contre la société rassure la société parce qu’elle est censée rester partielle, dans l’apartheid des “problèmes” de la jeunesse -comme il y aurait des problèmes de la femme, ou un problème noir - et ne durer qu’une partie de la vie. En réalité, s’il y a un problème de la “jeunesse” dans la société moderne, c’est que la crise profonde de cette société est ressentie avec le plus d’acuité par la jeunesse. Produit par excellence de cette société moderne, elle est elle-même moderne, soit pour s’y intégrer sans réserves, soit pour la refuser radicalement. Ce qui doit surprendre, ce n’est pas tant que la jeunesse soit révoltée, mais que les “adultes” soient si résignés. Ceci n’a pas une explication mythologique, mais historique : la génération précédente a connu toutes les défaites et consommé tous les mensonges de la période de désagrégation honteuse du mouvement révolutionnaire.

Considérée en elle même, la “Jeunesse” est un mythe publicitaire déjà profondément lié au mode de production capitaliste, comme expression de son dynamisme. Cette illusoire primauté de la jeunesse est devenue possible avec le redémarrage de l’économie, après la Deuxième Guerre mondiale, par suite de l’entrée en masse sur le marché de toute une catégorie de consommateurs plus malléables, un rôle qui assure un brevet d’intégration à la société du spectacle. Mais l’explication dominante du monde se trouve de nouveau en contradiction avec la réalité socio-économique (car en retard sur elle) et c’est justement la jeunesse qui, la première, affirme une irrésistible fureur de vivre et s’insurge spontanément contre l’ennui quotidien et le temps mort que le vieux monde continue à secréter à travers ses différentes modernisations. La fraction révoltée de la jeunesse exprime le pur refus sans la conscience d’une perspective de dépassement, son refus nihiliste. Cette perspective se cherche et se constitue partout dans le monde. Il lui faut atteindre la cohérence de la critique théorique et l’organisation pratique de cette cohérence. »

Le texte complet : ici

2 avr. 2007


(photo: merci à Un train peut en cacher un autre)

1 avr. 2007

Ça, c'est quand Edgar est pas sage:


et quand il est vraiment pas sage:

mais heureusement ça arrive pas souvent...

Paroles de patrons : yabon le développement durable !

A l'heure où N. Hulot la ramène encore (rassemblement ce dimanche au Trocadéro) avec son pacte et la création d'un poste de vice-Premier ministre chargé du Développement durable, j’ai choisi de vous proposer la (re)lecture de déclarations de quelques grands chefs du capitalisme. Elles sont toutes tirées de:

DEVELOPPEMENT DURABLE : 21 PATRONS S'ENGAGENT
Delaporte Pierre ; Follenfant Teddy ; Paris : Cherche Midi , 2002, 225 p.

Sur le très sérieux site de l'Association Réalités et Relations Internationales – ARRI, j’ai trouvé les précisions suivantes quant à l’ouvrage et je ne peux résister à la tentation de vous remettre ici ce petit texte pince-sans-rire tellement il me semble un sommet d’humour noir involontaire :

« Ethique et entreprises - Lancement du cycle sur le développement durable, animé par Pierre Delaporte, au siège de la Société Bouygues

Cet ouvrage, co-signé par vingt et un grands chefs d'entreprise, a été réalisé par Teddy Follenfant, conseiller en environnement, et Pierre Delaporte, président d'Espaces pour demain, dans la perspective du sommet de Johannesburg. Pourquoi 21 ? C’est le 21 e siècle, c’est l'Agenda 21 élaboré à Rio pour préparer Johannesburg …

Nombreux étaient les chefs d'entreprise présents en Afrique du Sud pour la présentation de cette publication, présentation qui eut lieu en présence de Jacques Chirac et de Kofi Annan. L'ouvrage se vend très bien (merci à Claire Chazal qui en fait la publicité, à la Fnac et au Furet du Nord) le nombre des tirés à part atteint un niveau extravagant … Total en aurait commandé 92.000. Parmi les 21 auteurs certains ont pris la parole, notamment Gérard Mestrallet, Daniel Lebègue, Jean-Paul Bailly. »


Culture de la canne à sucre, Antilles anglaises, 1840

[c’est moi qui souligne, en majuscules]

  • « La prise en compte des impératifs d’ordre sociétal n’est pas une fantaisie, un phénomène de mode ou une sensibilité personnelle du président. C’est une façon de SERVIR LES INTERETS A LONG TERME DE L’ENTREPRISE » (Suez)
  • « Ce n’est pas de la philanthropie : il s’agit de trouver une nouvelle manière d’appréhender chaque aspect de nos activités, dans un double but, aussi bien social que commercial. Ce qui, à terme, sera POSITIF POUR NOS ACTIVITES » (Accor)
  • « L’obsession du profit et du cours de l’action ne créent pas de valeur ajoutée, tandis que les entreprises qui se consacrent sérieusement à leur métier connaissent une progression normale (...) Il n’est PAS POSSIBLE DE FAIRE DU PROFIT SANS développement durable » (Colas)
  • « Dans la mise en oeuvre du développement durable, nous voyons un facteur D’AMELIORATION DES PERFORMANCES » (Totalfinaelf)
  • « Trouver le juste équilibre pour bien rémunérer les collaborateurs et les actionnaires, tout en préparant LES BENEFICES A VENIR » (Accor)
  • « Le fait d’être une entreprise qui se comporte bien est un ATOUT » (Lafarge)
  • « Nous avons presque UN AVANTAGE DE MARCHE à jouer la carte du développement durable » (LVMH)
  • « Notre engagement sur les chemins du développement durable engendrera des opportunités qui BENEFICIERONT A NOS ACTIONNAIRES auxquels nous devons assurer une rentabilité attractive » (Totalfinaelf)
  • « Ces normes nous coûtent de l’argent, mais cela est un « PLUS » pour notre image » (Ciments Français)

Alluvions auriferes - Congo belge 1908
  • « Les accidents du travail coûtent très cher aux établissements. Quand on les réduit à zéro, cela représente non seulement un progrès social et humain considérable, mais aussi UNE ECONOMIE » (Colas)
  • « On a considéré dans le groupe que les accidents de chantier n’étaient PLUS admissibles et qu’il n’y avait pas de fatalité en la matière » (Colas)
  • « Outil de management interne TRES UTILE (...) Cette notion de développement durable peut nous aider à aborder le thème de la conflictualité (...) faire passer (...) d’une culture de conflit à une culture du COMPROMIS » (SNCF)
  • « Il faut que l’on crée des conditions pour que notre personnel soit motivé » (Arcelor)
  • « L’important était que chacun s’approprie ces messages. Le développement durable est une composante à part entière de notre culture d’entreprise (...) Il n’y a PAS BESOIN D'UN TRES GROS EFFORT de sensibilisation pour qu’il y ait un bon niveau d’adhésion » (Totalfinaelf)
  • « Pouvoir améliorer la qualité de vie des plus démunis tout en favorisant l’émergence de NOUVEAUX MARCHES » (Suez, Evian).
  • « MAINTENANT, on arrive à fournir une aide MINIMALE qui permet à ces populations de SURVIVRE mais si ce partage reste aussi limité dans le temps, nous ne pourrons empêcher les flux de migration vers nos pays, ET L’EXPLOSION SERA FATALE » (ADP)
  • « Une entreprise ne peut pas être un îlot de prospérité dans un océan de pauvreté. Sinon les tensions qui se créent génèrent des LUTTES DESTRUCTRICES » (GDF)

Esclaves employés à l'extraction des diamants,
Minas Gerais, Brésil, 1812.

  • « L’enjeu consiste donc à DEVELOPPER LA DEMANDE au travers de la satisfaction de réflexes « plaisir » et, pourquoi pas ? de réflexes BONNE CONSCIENCE » (Monoprix)
  • « Il faut redoubler de vigilance et faire face à ses responsabilités pour conserver le capital de confiance acquis » (Accor)
  • « Il faut arrêter de diaboliser l’association marketing et développement durable (...) mettre le marketing au service d’une « marque éthique ». Les outils efficaces du marketing et de la communication doivent être mis au service de la « vulgarisation » d’un concept encore trop souvent méconnu (...) Donner envie, c’est pour moi la clé de la réussite indispensable au déploiement de ce formidable projet d’avenir » (Monoprix)
  • « Les fonds éthiques ont tous probablement à la fois une vision marchande (parce que c’est aussi un fonds de commerce qu’ils développent) et une vision éthique. [...] » (Arcelor)

  • « Il n’y a qu’une planète, dont nous sommes tous collectivement responsables » (Areva)
  • « Le développement durable repose sur une prise de conscience que nous sommes sur la même planète, avec des problèmes qui nous concernent tous » (Ciments Français)
  • « Il nous RESTE SIMPLEMENT à mettre ces bienfaits techniques au service de la planète » (Air France)

  • « Le développement durable, c’est ce qui nous permet de faire notre métier SANS AVOIR MAUVAISE CONSCIENCE par rapport à l’avenir de l’humanité et des générations futures » (Lafarge)
  • « La mondialisation CHANGERAIT ainsi de nature et de dimension. Au fond, elle se RAPPROCHERAIT des hommes, de leur vie, de leurs préoccupations » (LVMH).
  • « On DEVRAIT accompagner ces implantations (les délocalisations) d’efforts d’éducation, de formation et d’exigence sur le plan du comportement social de ces pays » (Publicis)
  • « Assurer, partout dans le monde, des niveaux de salaire très compétitifs à nos employés et les conditions de travail les plus agréables POSSIBLES, c’est sans doute une façon de contribuer au progrès » (L’Oréal).


Un appel aux armes à Tananarive, Madagascar 1895
  • « Ne pas prendre en compte les impératifs de développement durable, c’est s’exposer à des CRISES SOCIALES et environnementales graves » (Suez).
  • « L’islamisme radical n’est au fond que la traduction de la désespérance d’un certain nombre de citoyens du monde (...) L’inégalité du développement est à mon avis un sujet trop peu pris en compte DANS LE PASSE » (EDF).
  • « Le développement durable qui pour moi , avec la liberté, est une des rares causes qui méritent une campagne mondiale, un effort de tous et de chacun (...) Je pense sincèrement qu’il s’agit de la plus belle cause que l’on puisse défendre » (Publicis)
  • « Après un CERTAIN NOMBRE de comportements anarchiques, les industriels se sont trouvés les premiers à être dans l’oeil du cyclone d’une prise de conscience collective » (Ciments français)
  • « Arrêtons de parler service public versus libéralisation ! » (EDF)
  • « Dans un monde où les changements s’accélèrent, ou la pression sur les résultats s’accentue, les entreprises ont besoin pour durer de références communes fortes » (Danone).
[Industriels de tous les pays, unissez-vous !]

  • « Pour nous le développement durable fait partie de l’âme de l’entreprise »(Arcelor)
  • « Ce n’est pas par hasard que ce concept émerge à notre époque. Il correspond à nos préoccupations actuelles (...) Il s’agit de réconcilier l’homme avec la planète » (Colas)
[Ou de le réconcilier avec le capitalisme ?]

  • « En 1995, on a demandé aux chefs d’entreprise si une société pouvait être citoyenne, et la réponse a été unanime : non ! ...Maintenant, posez la même question, et vous aurez 98 % de réponses positives » (Monoprix)



William Anastasi: Raw

Quand le capitalisme, dans sa folie, cherche à repousser encore un peu l’échéance et à faire ses derniers profits, avant liquidation.

[...]

Développement durable? Destruction programmée de la planète.

DE CES NOTES PRISES DANS LES MARGES DES LIVRES ET D'AUTRES CHOSES ENCORE...