4 avr. 2007

Depuis des années...

« Depuis des années, une idéologie postsoixante-huitarde a conduit à tolérer l'intolérable » a déclaré l’ex-ministre de l’Intérieur et candidat de choc de l’UMP pour les prochaines présidentielles au lendemain des affrontements police/usagers à la gare du nord de mardi dernier.

Ce n’est pas la première fois que N. Sarkozy vilipende Mai 68 et ses « enfants gâtés », cette « idéologie » qui « installa partout, dans la politique, dans l'éducation, dans la société, une inversion des valeurs et une pensée unique dont les jeunes sont aujourd'hui les principales victimes.» (Marseille, université d’été UMP, 4/09/2006). A cette occasion, il avait également déclaré aimer les enfants qui « se lèvent tôt le matin » et affirmé que le pape Jean Paul II « était et restera une référence pour la jeunesse du monde.» Dans la foulée, il avait alors reparlé de ses rêves d’une jeunesse respectueuse du drapeau français et de la Marseillaise (un an et demi, donc, avant sa concurrente du PS, mais là n’est pas la question). Et puis : « Aimez la France. Battez-vous pour construire, non pour détruire.» « Haïr la France, c'est se haïr soi-même.» etc., etc.

Or qu’en est-il exactement de cette pensée de Mai, au-delà des clichés ? Nous ne résistons pas à la tentation de citer quelque peu le texte qui, publié un an et demi avant les "évènements" (grève générale, avec nombre d'occupations sauvages, tout de même, de celles qui font très peur aux syndicats) avait largement contribué à la diffusion d’idées qui dérangèrent les milieux politiques, académiques, étudiants et autres. Il s’agit de De la misère en milieu étudiant - considérée sous ses aspects économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier. C'est on le sait l'un des textes-clés de l'époque, et en le parcourant n'importe qui peut très vite saisir qu’au fond TOUS les candidats à ces élections ne peuvent qu’être opposés à cette "idéologie", et en bloc. Si seulement ils le (re?)lisaient, le prétendant Sarkozy se sentirait moins seul…

Rappelez-vous, cela commençait par: « Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement méprisé.»

Extrait de la deuxième partie :

« Après une longue période de sommeil léthargique et de contre-révolution permanente, s’esquisse, depuis quelques années, une nouvelle période de contestation dont la jeunesse semble être la porteuse. Mais la société du spectacle, dans la représentation qu’elle se fait d’elle-même et de ses ennemis, impose ses catégories idéologiques pour la compréhension du monde et de l’histoire. Elle ramène tout ce qui s’y passe à l’ordre naturel des choses, et enferme les véritables nouveautés qui annoncent son dépassement dans le cadre restreint de son illusoire nouveauté. La révolte de la jeunesse contre le mode de vie qu’on lui impose n’est, en réalité, que le signe avant-coureur d’une subversion plus vaste qui englobera l’ensemble de ceux qui éprouvent de plus en plus l’impossibilité de vivre, le prélude à la prochaine époque révolutionnaire. Seulement l’idéologie dominante et ses organes quotidiens, selon des mécanismes éprouvés d’inversion de la réalité, ne peuvent que réduire ce mouvement historique réel à une pseudo-catégorie socio-naturelle : l’Idée de la Jeunesse (dont il serait dans l’essence d’être révoltée). Ainsi ramène-t-on une nouvelle jeunesse de la révolte à l’éternelle révolte de la jeunesse, renaissant à chaque génération pour s’estomper quand le “le jeune homme est pris par le sérieux de la production et par l’activité en vue des fins concrètes et véritables”. La “révolte des jeunes “a été et est encore l’objet d’une véritable inflation journalistique qui en fait le spectacle d’une “révolte” possible donnée à contempler pour empêcher qu’on la vive, la sphère aberrante - déjà intégrée - nécessaire au fonctionnement du système social ; cette révolte contre la société rassure la société parce qu’elle est censée rester partielle, dans l’apartheid des “problèmes” de la jeunesse -comme il y aurait des problèmes de la femme, ou un problème noir - et ne durer qu’une partie de la vie. En réalité, s’il y a un problème de la “jeunesse” dans la société moderne, c’est que la crise profonde de cette société est ressentie avec le plus d’acuité par la jeunesse. Produit par excellence de cette société moderne, elle est elle-même moderne, soit pour s’y intégrer sans réserves, soit pour la refuser radicalement. Ce qui doit surprendre, ce n’est pas tant que la jeunesse soit révoltée, mais que les “adultes” soient si résignés. Ceci n’a pas une explication mythologique, mais historique : la génération précédente a connu toutes les défaites et consommé tous les mensonges de la période de désagrégation honteuse du mouvement révolutionnaire.

Considérée en elle même, la “Jeunesse” est un mythe publicitaire déjà profondément lié au mode de production capitaliste, comme expression de son dynamisme. Cette illusoire primauté de la jeunesse est devenue possible avec le redémarrage de l’économie, après la Deuxième Guerre mondiale, par suite de l’entrée en masse sur le marché de toute une catégorie de consommateurs plus malléables, un rôle qui assure un brevet d’intégration à la société du spectacle. Mais l’explication dominante du monde se trouve de nouveau en contradiction avec la réalité socio-économique (car en retard sur elle) et c’est justement la jeunesse qui, la première, affirme une irrésistible fureur de vivre et s’insurge spontanément contre l’ennui quotidien et le temps mort que le vieux monde continue à secréter à travers ses différentes modernisations. La fraction révoltée de la jeunesse exprime le pur refus sans la conscience d’une perspective de dépassement, son refus nihiliste. Cette perspective se cherche et se constitue partout dans le monde. Il lui faut atteindre la cohérence de la critique théorique et l’organisation pratique de cette cohérence. »

Le texte complet : ici

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Hello,
Bon 14 pages pour le texte complet, je me l'imprime et l'emporte, j'ai besoin d'y réfléchir. Et de réfléchir à qu'est ce que la situation pré soixante huitarde a de commun avec celle d'aujourd'hui.
A part l'ordre moral bien sur.
Je suis peut être désabusée, mais je ne crois pas au salut par la jeunesse, il me semble qu'ils sont tous, étudiants ou pas, hantés, angoissés, par leur insertion dans la société, sans avoir le recul pour s'en faire une opinion critique.
ou alors, pour aboutir à la conclusion qu'il faut plus d'ordre, plus d'ordre et encore plus d'ordre.
En tout cas, j'ai du mal à bien distinguer ce qui fait que ma fille étudiante, est aujourd'hui plutôt de droite, légèrement raciste, a-culturée, ultra féministe dans le discours mais normative et conventionnelle dans ses instincts et modes de vie, et totalement angoissée à propos de ses études.
Quelque chose que j'ai loupé dans son éducation ?
Des raisons politiques qui m'échappent ?
Un truc normal car commun à toute la jeunesse ?
Un début de conclusion dans 8 jours !!
A plus,
Audine

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