Paris, entre Place de Clichy et Blanche.
Dégoûté. Voilà ce que je trouve (et encore je vous assure que c'est mieux en photo qu'en vrai):
Aujourd'hui même.Des imbéciles, qui s’autoproclament précaires, le dernier adjectif à la mode, ont monté une cabine en verre sur le socle de la statue disparue de Fourier, pour le plus grand divertissement des badauds et des touristes. Il s'agit d'un collectif (fallait-il qu'ils se mettent à plusieurs? On n'ose imaginer ce que chaque individu pris séparément pourrait nous sortir en fait de concept génial), qui prétend « cultiver le paysage ». Bonjour. Voir leur
communiqué de presse.
C'est bien le socle d'origine.Quelles que soient les intentions déclarées (« Nous honorons une nouvelle fois le socle de Charles Fourier », « Mais ici, point d’hommage au grand homme »), cette installation, qui aurait pu être sponsorisée par France Télécom, est du plus mauvais effet. Pourquoi pas un abribus panoramique tant qu'ils y étaient? Même en admettant que ces types à l’imagination en berne aient réellement installé ce truc à l’insu des autorités, comme on dit, le fait même qu’il n’ait pas été immédiatement démonté par ces mêmes autorités, suffit à prouver à quel point ce genre d’initiative va dans le sens du poil de la médiocrité de l’aménagement urbain (et "culturel"). D'une tristesse. D’ailleurs la Ville de Paris va le leur mettre aux normes, à ces pauvres chéris :
« MERCI DE NE PAS MONTEREsthétique et sécurité ne sont pas toujours compatibles,
dans l’attente d’une mise aux normes prochaines de l’escalier,
merci de ne pas monter. »Ils auraient pu traduire en japonais ou en italien, pour nos amis de passage…
Cette idée de représenter la disparition, de souligner le vide par un volume en verre est d’une telle banalité, a un tel air de déjà vu, qu’on se demande comment un quelconque sous-fifre de la Direction des Affaires culturelles, de celle des Parcs et Jardins, que sais-je encore, ne l’a pas eu avant eux (mais peut-être ce fonctionnaire éclairé est-il en réalité le chef de la bande). Décidemment rien n’aura été épargné à Fourier. Cette bouffonnerie au rabais qui bien entendu – ça ne mange pas de pain – se veut subversive (la référence obligée aux situs) sera-t-elle la dernière péripétie de l’histoire de ce site ? Retour en arrière:
C’est en
juin 1899, difficilement financée par le fouriérisme officiel finissant et divisé, qu’est érigée la statue.

Une quarantaine d'années plus tard, au début de l’Occupation, elle est enlevée par les nazis qui récupèrent le bronze pour le fondre en munitions. Fourier est "sacrifié" parmi les premiers. Plus de statue sur le Boulevard de Clichy, donc, mais le socle reste.
En 1969, nouvel épisode, ainsi relaté dans la revue de l’I.S :
Le retour de Charles Fourier« Le lundi 10 mars 1969, à 19 heures, au moment même donc où commençait une « grève générale » divertissement soigneusement limitée à vingt-quatre heures par l’ensemble des bureaucraties syndicales, la statue de Charles Fourier était remise, place Clichy, sur son socle, resté vide depuis que les nazis en avaient enlevé sa première version. Une plaque gravée à la base de la statue en disait l’origine : « En hommage à Charles Fourier, les barricadiers de la rue Gay-Lussac ». Jamais encore la technique du
détournement n’avait touché un tel domaine.
Le travail de mise en place fut effectué à un moment où la place Clichy est très fréquentée, et devant plus d’une centaine de témoins, dont beaucoup s’attroupèrent, mais dont personne, même en lisant la plaque, ne s’étonna (on s’étonne peu en France, après avoir vu mai 1968). La statue, réplique exacte de la précédente, était en plâtre, mais finement bronzée. À vue d’œil, on la croyait vraie. Elle pesait quand même plus de cent kilos. La police s’avisa peu après de sa présence, et laissa une garde autour d’elle durant toute la journée du lendemain. Elle fut enlevée à l’aube du surlendemain par les services techniques de la Préfecture.
Un commando d’une vingtaine « d’inconnus », comme disait
Le Monde du 13 mars, avait suffi à couvrir toute l’opération, qui dura un quart d’heure. D’après un témoin, cité par
France-Soir du 13, « huit jeunes gens d’une vingtaine d’années sont venus le déposer à l’aide de madriers. Une jolie performance si l’on sait qu’il n’a pas fallu moins de trente gardiens de la paix et une grue pour remettre, le lendemain, le socle à nu. » Et
L’Aurore, pour une fois véridique, faisait remarquer que la chose était notable car « les enragés ne rendent pas tant d’hommages ». »
Internationale situationniste, Revue de la section française de l’I.S., Numéro 12, Septembre 1969
(à noter que sur cette prise on voit encore en fond le célèbre Gaumont Palace, détruit en 1972 pour laisser place à un complexe hôtelier particulièrement répugnant...)A suivre ?
(si l'on y tient vraiment, on peut voir d'autres images récentes ici)