26 mai 2007

la girafe: le retour, donc

L'autre jour je me demandais si ma bibliothèque ne commençait pas un peu à se mordre la queue (voir photo plus bas), ce qui est toujours ce qui peut arriver de pire à une bibliothèque, qui se doit bien plutôt d'être un labyrinthe où se perdre, sans en rester prisonnier, ou alors en connaissance de cause, en acceptant d'entrée les risques que cela comporte... Le mieux étant peut-être de ne pas en avoir, ou de tout laisser dans des cartons au fond d'une cave... Bref, je m'en approche donc et sors quelques bouquins au hasard, enfin presque, et voilà qu'en refeuilletant Fourier, je tombe sur notre amie la girafe, dont il a déjà été question ici:



Fourier, PUF, 1969.

Bien sûr, il faudrait écrire une présentation du passage, s’interroger sur le Dieu de Fourier, par exemple, dire qu’il est tout de même assez particulier. Pour le moment, on peut déjà dire que ce n'est certes pas le Dieu de l'abstinence, de la faute, du péché. Pour le Bisontin (il est né à Besançon en 1772, mort à Paris en 1837), sacré et érotisme sont par exemple indissolublement liés, ce qui n'est pas très catholique, il faut reconnaître. Mais, blague à part, ce Dieu-là peut être facilement tenu pour quantité négligeable (il n'est, en gros, que le Créateur) sans rien enlever à l’originalité des vues de ce penseur-poète singulier, sans "trahir" sa conception d’un monde avant tout régi par la loi des attractions, inspirée de Newton.

Ce dont Fourier nous parle presque toujours - et c'est bien plus intéressant que ses projets de réformes dans le domaine économique, qui ont leurs limites -, c'est de nos désirs, de nos passions. « Les attractions sont proportionnelles aux destinées ». Oui, mais ce n’est pas de l’hédonisme bon marché. Fourier va plus loin, Fourier dérange. D'ailleurs ses disciples (vaut-il mieux, là aussi, ne pas en avoir ?) ne s'y sont pas trompé en escamotant une partie de son oeuvre. L’indifférence aidant par la suite, ce n'est qu'un siècle et demi après leur élaboration (grosso modo jusque vers la fin des années 1960) qu'on a pu avoir accès à l'ensemble des textes.

Car ce que Fourier fustige, c'est la Civilisation, rien de moins, qui pour lui fait suite à la Sauvagerie, puis à la Barbarie, sans que les hommes aient pu en finir avec le mensonge, l'asservissement, le meurtre, etc., bien au contraire. Le salut de l'humanité passe par la mise en place de l'Harmonie. Fourier est ce qu'il est convenu d'appeler un utopiste.

Il faudra y revenir, impossible de résumer en quelques lignes une pensée si originale et si puissante, si déconcertante aussi, parfois. Dire par exemple à quel point il a été un précurseur de Freud (il parle d'« engorgement » plutôt que de « refoulement » mais bon). Citer ses pages sur l'éducation des enfants, une vision par bien des aspects très libertaire...

Photo: T. Buquet, Lyon, parc de la Tête d’or, 1990.

article en ébauche

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonsoir !
Tu sais pas ? je suis un peu bigleuse , je suis même pas arrivée à lire le texte : t'aurais quand même pu faire l’effort de le retaper...

Alors je suis partie à la recherche de "Charles Fourier" sur le net : j’ai bien bossé, merci Edgar !

Je suis d’emblée tombée sur cet article :

DEBOUT Simone : L’Utopie de Charles Fourier (1998)
La passion au cœur de l'utopie
http://charlesfourier.fr/article.php3?id_article=18
L’article nous précise que ce n’est pas l’interprétation la plus répandue des textes de Fourier :
"Punaise" ,me suis-je dit, le blog va changer de ton, si Edgar se met à nous parler désirs et utopie, ça va prendre une toute autre tournure !!
T'avoueras que cette piste bien que surprenante ne manquait pas d'attrait !!!

Ensuite , je suis quand même revenue à "ton Fourier" dont je ne connaissais pas grand chose , et je suis allée lire ce que disait Ricoeur de l’utopie ; enfin lire, c’est un bien grand mot , juste jeté un œil ! http://www.cnam.fr/lipsor/dso/articles/fiche/ricoeur.html
Non, il me semblait bien passer encore à côté de quelque chose d'essentiel …
Je ne connais rien de Ricoeur, si ce n'est qu'il a beaucoup écrit sur un lieu qui a marqué mon cheminement ....

Mais j’ai persévéré et ma patience a porté ses fruits : j’ai fini par trouver ;
mon œil devenu expert à vous lire , a tout de suite tilté sur des mots inconnus jusqu'à des jours récents :

« L'utopie et les utopies libertaires »
Ressources sur l'utopie, sur les utopies libertaires et les utopies anarchistes ... Besançon, Colloque sur "Charles FOURIER : action sociale, lien social et ...
http://artic.ac-besancon.fr/histoire_geographie/HGFTP/Autres/Utopies/u1-defin.doc

Alors là, waouh , on n'est plus dans le même registre, c'est du sérieux ce truc là, on ne rigole plus , interro demain matin 8:00 sur le blog ..
titre : "quelques précisions et essais de définitions sur les utopies et les anarchismes ":
Utopie et anarchisme, utopies et anarchismes : de multiples définitions, d’infinis engagements et évolutions, d’innombrables réalités et écrits concernés. Comment y voir clair sans entamer une énumération critique.
extraits, rien que du plan !!
B. DE QUELQUES GENRES UTOPIQUES… UNE EXTRAORDINAIRE VARIETE 10
1. Un sens péjoratif communément répandu 10
2. Au sens strict, « classique » ou « traditionnel » (« morienne » ?): l’utopie représente des microcosmes idéalisés (il s’agit surtout d’utopies littéraires) 11
3. L’utopie de type « uchronie » et les « anticipations » : 13
4. L’utopie comme microcosme tenté : les expériences communautaires 14
5. L’utopie au sens d’eunomie, de projet politique, de programme politico-social… 17
6. Au sens marxien péjoratif de « socialisme utopique » 20

en réalité , rien que ça, ça m' a plombée ... ; c’est ça qu’ils appellent « quelques » précisions !!!

Je pensais bien pourtant que c’était cela l’objet principal de ton billet, mais je n'irai quand même pas tout lire !
Et puis tes commentaires rejoignent ceux de Simone Debout …

Et j'ai de toute façon du pain sur la planche , si je veux avancer ……

Grain de sel

Extraits de L’Utopie de Charles Fourier (1998) DEBOUT Simone :
« ...Selon une conception classique, lorsque nous désirons une chose qui nous manque nous souffrons, nous sommes insatisfaits. Il nous semble alors que la possession de la chose désirée nous permettrait d'être enfin nous-mêmes. Mais le désir apparaît alors comme une attitude contradictoire puisqu'il tend à se supprimer lui-même dans la possession. Je ne désire plus ce que je possède. J'atteinds alors la coïncidence avec moi-même dans le repos ou dans l'angoisse mais il y a là quelque chose de morbide, l'élan de la vie a disparu. Le désir nous a déçu, il semble qu'il se soit nourri d'illusions.

Mais chez Fourier le désir peut se vivre autrement et c'est justement l'utopie qui permet son plein essor. Comme l'avait montré déjà Spinoza le désir n'est pas tant le signe d'un manque que d'une affirmation. Nous ne désirons pas une chose ou un être parce qu'ils ont de la valeur isolément mais ils ont de la valeur parce que nous les désirons, parce que dans ce mouvement vers eux nous nous dépassons et nous nous affirmons à la fois. « Le désir est donc l'affirmation d'une virtualité singulière, un possible réel et pas seulement un manque d'être » [3]. C'est en désirant que nous nous développons et franchissons les limites qui nous bornent.

En harmonie il faudra donc favoriser le plein essor du désir. En « civilisation » il ne parvient pas à se déployer. Si occasionnellement il se produit, il est alors contraint, empêché ou dissimulé. Le désir sexuel est contraint par le mariage dans lequel il finit par s'éteindre. La civilisation ne tolère pas le désir érotique qui - comme l'a montré Georges Bataille - est un pur mouvement de dépense [4] . Une telle dépense remettrait en cause les assises de la civilisation qui repose sur une logique productive utilitaire. Aussi cherche-t-elle à le réduire à des fins qui le nient. Le mariage en civilisation légitime la sexualité en l'orientant vers une fin qui lui est extérieure : la procréation.
Le mythe de l'androgyne primitif sur lequel repose le mariage nous donne l'illusion d'un couple constituant une totalité séparée [5]. Mais avec ce couple fusionnel le mouvement du désir s'arrête.

Chercher une finalité au désir c'est aussi lui mettre un terme. Comme le montre Simone Debout le désir érotique n'a pas selon Fourier d'objet fixe ni prédéfini (sur ce point il est bien plus novateur que Freud qui définit le désir de façon classique et normative). Toutes les manies, toutes les perversités sont souhaitables car elles permettent l'expression de ce qu'il y a de plus singulier en chacun de nous... »

edgar a dit…

Salut GDS,

un peu pressé, là, mais pour lire le texte sur l'analogie girafe/vérité, suffit de cliquer sur les scans et normalement ça s'ouvre en plein écran...

Le bouquin de Simone DEBOUT, je l'ai pas lu mais j'ai vu qu'il est souvent référencé, et puis son boulot d'édition a l'air costaud...

à bientôt,

Ed.

Anonyme a dit…

Merci , Edgar
mais même en cliquant dessus ( ça ne m'avait quand même pas échappé !) je n'y avais pas vu grand chose ...
c'est peut-être pas d'une paire de lorgnons dont j'ai besoin,
mais d'un peu de lumière pour éclairer le texte !

Le texte de Simone Debout m'est surtout apparu beaucoup plus accessible;
contrairement aux autres approches entrevues , le thème de l'utopie n'y est pas traité sur un plan purement idéologique ;
c'est dans le même registre de ce que tu disais toi aussi de Fourier ;

J'aime bien cette ouverture qui est faite sur nos désirs , nos manques, notre "incomplétude qui nous fait avancer " ..

Je me suis souvenue d'un mot lu récemment de René Char:
"L'inaccompli bourdonne d'essentiel."

Alors, comme je ne suis pas une grande courageuse , j'ai cédé une fois de plus à la facilité de la lecture de ces "marginalia "!

A +
Grain de sel

edgar a dit…

salut,

dès que je peux me poser, j'écris quelque chose sur le passage sur l'analogie, assez étrange non? et drôle en tous cas. De là à faire toute la lumière... Je comprends pas pourquoi t'arrives pas à lire. Je voudrais pas insister lourdement mais pourtant le texte scanné est même agrandi par rapport à l'original! (la collection "philosophes" des PUF, genre format "que sais-je", un peu petit donc). Et en assez haute résolution... ton écran sans doute...

pour les liens que tu as mis c'est passionnant (et courageux!), mais il y a du grain à moudre et je doute qu'on en vienne à bout... si seulement on n'avait que ça à faire, et encore... d'autres y ont passé leur existence... Enfin, on peut déjà essayer de s'amuser un peu... Que ça à faire... le rêve? mais non, les réflexions se nourrissent forcément de la vie, sinon c'est la tour d'ivoire, la retraite anticipée, non merci... en même temps des fois je me dis que courir à droite à gauche c'est aussi un peu l'excuse pour ne rien entreprendre de "sérieux"... mais sérieux ça veut dire quoi? Beaucoup trop de point de suspension dans ce post, décidemment...

Anonyme a dit…

C’est encore un brin d’ironie?
Mais j’apprécie que tu puisses faire porter le chapeau de mes défauts de réceptivité à mon pauvre écran d’ordi …

Oui, j’ai eu un peu de mal à saisir tout le sens de l’analogie girafe/ vérité …

A ma décharge, ton commentaire ne nous aidait pas beaucoup puisque tu orientais tes propos sur l’utopie selon Fourier ( ou alors , j’ai encore rien compris !)

Et pour en revenir à la Vérité avec un grand V, je ne me serais certainement pas servie de la girafe comme hiéroglyphe… ,
il y a quelque chose d’infiniment petit pour moi dans cette notion de vérité, quelque chose qui m'appartient, que je m'approprie, qui suscite mon action ...

On en revient un peu toujours à la même chose , cet enfermement dans l'ignorance que tu abordes sous des angles multiples et variés ...
Là ,il s’agit de cet avilissement imposé par le « on » qui nous interdit l’accès à la vérité ..
( je suis vigilante , maintenant ! je ne me laisse pas facilement enfermer dans ce discours de victimisation )
Je ne suis toujours pas dans cet "état de pensées"..

Je n’ai pas besoin pour ma part d’aller "brouter les branchages à 18 pieds de hauteur",
je trouve largement de quoi picorer au ras des pâquerettes, quelques ingrédients pour alimenter ma vérité ...
Grain de sel

DE CES NOTES PRISES DANS LES MARGES DES LIVRES ET D'AUTRES CHOSES ENCORE...